Unsquared, Tina Modotti in red, 2021
Yuna Mathieu-Chovet
lambda photographic print mounted on dibond, custom paint on wall
166x100x1,3 cm
Produced @milo-profi photography with the kind support of Fédération Wallonie-Bruxelles grant for creation
Unsquared
FR/
Depuis de nombreuses décennies, les artistes travaillent en brouillant les frontières entre les différentes catégories de médiums des arts plastiques, telles que peinture et sculpture. Dans la pratique contemporaine, on peut cependant remarquer que la photographie continue souvent d’ occuper une place à part, à l’image de musées qui lui sont spécialement dédiés, ou de manifestations internationales telles que Paris Photo.
Le projet ‘Unsquared’ entend offrir à la photographie la même place que celle occupée par la peinture et la sculpture, et la même qualité de liens entre ces différentes catégories, tout en conservant ses qualités propres. Le projet s’intitule ‘Unsquared’, car la base du travail est de s’interroger sur le devenir physique de la photographie. La forme habituelle rectangulaire de la photographie provient de l’objet source de celle-ci : le négatif (ou parfois le positif), dont le format est hérité de longue date et déterminé par des considérations pratico-techniques, format qui sera ensuite mimé par la photographie numérique. Le devenir physique le plus courant actuellement pour la photographie trouve donc sa source dans la simple reproduction à l’identique d’une norme et d’un standard intégré de manière inconsciente.
Prenant acte de ce constat, cette série propose de donner à l’objet photographique une autonomie par rapport à son origine et au standard courant, à la norme qui l’a formée, une possibilité de se déterminer de manière différente. À un niveau plus conceptuel, cette proposition peut être interprétée comme une métaphore du conditionnement, qui peut être social, sexuel, racial, etc. Elle exprime une certaine forme de rapport à la norme par la prise de connaissance et donc la mise à distance de celle-ci. Force est de constater qu’un conditionnement inconscient amène à répéter des mots, des gestes et des habitudes dans l’ignorance, c’est à dire sans connaissance de cause. Séparées de leur source, les fondements et liens logiques ne sont plus connus, l’artiste est ainsi privée et dépossédée de son propre appareil critique. Prendre conscience de son conditionnement est la première étape qui permet ensuite de voir et d’imaginer d’autres chemins, d’autres horizons et en somme d’autres mondes.
C’est pourquoi les photographies ici proposées seront ‘Unsquared’, c’est à dire libérées de leur devenir normatif et en lien avec d’autres médiums tels que la peinture.
La destruction de la norme est comprise comme potentiel libérateur, la destruction comme le prémisse du nouveau et de la création. Les parentés de cette série sont à chercher tant auprès des ‘shapped canvas’ de Frank Stella que des ‘mauled paintings’ de Steven Parrino : la photographie et la peinture, la création et la destruction sont placées au même niveau.
Outre les références à la peinture abstraite du XXème siècle, telles que Suprématisme, Color-field et Hard-edge, le point de départ de cette série trouve également sa source dans le questionnement suivant : quelle est l’origine des formes ? Qui a inventé le premier cercle, le premier rectangle, la première ligne ? La réponse est en partie trouvée dans la naissance de la peinture abstraite qui remonte à la peinture préhistorique, et à l’histoire des premiers dessins. Trouvé dans la grotte Blombos en Afrique du sud, le premier dessin connu actuellement est un dessin de 9 traits rouges formant un motif quadrillé, abstrait, sur une pierre de 3,9 cm de long et date d’il y a environ 73 000 ans. Cependant ce n’est pas la première fois que des motifs abstraits sont découverts. Un zigzag a été trouvé gravé sur un coquillage à Java, datant de 500 000 ans, réalisé non pas par Homo Sapiens mais par Homo Erectus. Plus tard, l’art pariétal a vu se développer des signes abstraits plus complexes.
Les ‘Unsquared photographs’ sont une forme de dialogue entre la peinture et la photographie. Il s’agit de confronter objet physique et représentation. La photographie est ici utilisée car elle est le moyen disponible pour documenter le sujet, un reflet. La co-existence au sein de l’oeuvre des médiums de la photographie et de la peinture s’affirment mutuellement, contrastent et se mettent en perspective. La photographie en partie détruite permet d’en affirmer la matérialité. La destruction de l’objet permet la visibilité de l’objet. La photographie peut ainsi affirmer son double statut : tant celui d’objet materiel qu’objet de représentation.
Cette série de photographies entend présenter des portraits de reflets. À un niveau plus conceptuel, cette position peut être interprétée comme une critique de l’anthropocentrisme. Le reflet, ce phénomène physique, est précisément celui que la plupart des photographes ont été si durement entrainés à éviter. Il devient ici non seulement digne d’être figuré, mais il accède encore au statut de sujet, et plus précisément sujet de portrait, sachant que le genre du portrait est traditionnellement et hiérarchiquement considéré comme supérieur à celui de la nature morte.